Collaboration spéciale
Meggie Canuel Caron agr.
Productrice de champignons
Dans notre histoire, c'est durant les périodes de grandes crises que l'on voit resurgir les préoccupations en matière d’autonomie alimentaire. C’est d’ailleurs après la Seconde Guerre mondiale que le concept d’autosuffisance alimentaire s’est popularisé. En effet, à cette époque plusieurs nations mettent en place des politiques agricoles productivistes offensives et on assiste à la décolonisation de plusieurs pays pourvoyeurs de denrées alimentaires. Il n’est donc pas surprenant que le terme "autonomie alimentaire" apparaisse sur les lèvres de nos dirigeants politiques, depuis le début de cette crise sanitaire.
Au cours de la dernière année, les craintes face aux instabilités des chaînes d’approvisionnement ont inspiré à notre gouvernement toutes sortes de mesures, de stratégies et de programmes bioalimentaires favorables au secteur. En tant que nouvelle productrice agricole, je ne peux m’empêcher de m’enthousiasmer de ce léger courant d’air de changements positifs en cette période orageuse.
Cependant, en lisant un dossier fort intéressant de l‘Institut de recherche en économie contemporaine (IREC) paru sur le site de manger notre Saint-Laurent, une réflexion s’est amorcée à travers mon enthousiasme pour la question de l’autonomie alimentaire du Québec. Comment souhaitons-nous voir ce changement s’opérer en cette période de transformations sociétales?
Débutons cette réflexion avec l’explication de l’autosuffisance alimentaire telle que relatée dans le dossier de l’IREC. Ce concept politiquement alléchant représente dans les faits, les quantités produites par rapport aux quantités consommées sur un territoire donné. Toutefois, ce ratio ne prend pas en considération la manière dont cette quantité produite est répartie pour répondre à la demande intérieure de ce territoire donné. Cet indicateur, tel qu’il est utilisé par nos décideurs, nous indiquerait donc qu’une population serait 100% autosuffisante même si celle-ci importe l’entièreté de ce qu’elle consomme, à condition qu’elle en exporte la même quantité. C’est ici que la différence entre autosuffisance et souveraineté alimentaire se dessine.
Cette manière de concevoir le système alimentaire, basée sur les variables du marché, nous rappelle que la politique bioalimentaire de 2018-2025, repose sur un modèle agro-industriel misant sur l’accroissement des exportations. Si nous portons plutôt notre attention sur une chaîne d’approvisionnement locale et donc sur la notion de souveraineté alimentaire, pouvons-nous réellement penser que celle-ci serait plus efficace que les chaînes internationales diversifiées pour pallier aux problèmes de pénuries et de variations des prix? C’est la question qui a été posée dans un rapport du CIRANO sur l'autonomie alimentaire paru en 2020. Selon les auteurs, la réponse à cette question n’est pas clairement démontrée et soulève une autre question fondamentale qui est la suivante; pourquoi voulons-nous de cette autonomie alimentaire?
Ainsi, l’heure est aux vraies questions. Comme je dois parfois me le rappeler en tant qu’entrepreneure: rien ne sert de proposer des idées, des stratégies et des plans d’action, sans en avoir préalablement défini la direction et la vision. Je pense qu’il faut prendre le temps d’établir ce qui est important pour nous en tant que société. Peut-être est-il temps de repenser notre modèle de développement qui se base uniquement sur des variables économiques? Toujours est-il que cette réappropriation de notre autonomie est une occasion en or de mettre en avant-plan ce qui caractérise les milieux dans leurs spécificités.
En effet, le moment est venu de considérer des dimensions plus territoriales et sociales, comme la vitalité des communautés, la diversité et la qualité de l’offre alimentaire locale, la pression exercée sur les écosystèmes, l’accès aux terres, etc. L’IREC suggère de réformer les indices de progrès que nos décideurs utilisent pour y intégrer ces facettes de notre développement et faire de la durabilité le concept phare de ces indicateurs.
Bien que cette idée soit intéressante, à l’heure de cette pandémie, je crois que cette transformation devra s’opérer par une mobilisation de tous et chacun pour reprendre contact avec le caractère vital de notre alimentation. Il s’agit d’un bien commun autour duquel on peut se rassembler et allier nos savoir-faire et nos forces. Les entreprises comme Orisha font partie de ces acteurs qui ont su mettre leur passion et leur expertise aux services de cette autonomie alimentaire. La multiplication des serres à une échelle locale est un fabuleux exemple d’outil à notre disposition pour tendre vers ce grand projet.
J’ai le sentiment que la réappropriation de notre capacité à nous nourrir collectivement est plus essentielle que jamais à l’heure où notre pouvoir individuel se limite à bien peu de choses. À chacun de découvrir sa manière de contribuer à ce projet collectif, si celui-ci résonne autant pour vous qu’il le fait pour moi.
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